Jour pour jour, le samedi 5 mai 2012, vers 2h40, un avion médicalisé de la société T.A.I. (Transport Aériens Intercaraïbes), dont le siège était à Saint-Barthélemy, s’est écrasé en mer au large de la Baie Orientale peu après son décollage, causant la mort de ses 4 occupants.
A son bord se trouvaient le pilote, un médecin et un infirmier du SAMU de Fort-de-France, ainsi qu’un patient de nationalité Chypriote. L’appareil avait pour mission de se rendre en Martinique où devait être hospitalisé le malade.
L’appareil, un Piper Cheyenne III immatriculé F-GXES, avait été mis en service au cours du 1er trimestre 1981. Il s’agissait d’un appareil « réformé » par les Douanes Françaises, avec qui il avait déjà assuré 20 ans de missions.
L’épave a été localisée le samedi 5 mai vers 7h20, à environ 100 m au sud-est de Caye Verte, presque dans l’axe de la piste de l’aéroport, et l’ensemble des débris est réparti sur une zone d’environ 1500 m2 à une profondeur de 10 à 15 mètres. (Photo page 16) (Photo page 17)
Les opérations de récupération ont commencé le même jour et se sont terminées le 10 mai. Le procureur Jacques Louvier, en charge du dossier a confirmé que « les quatre corps ont été retrouvés (…) Mais il n’y a pas de corps indemne ».
Des spécialistes de la gendarmerie nationale, appartenant au groupement des transports aériens de Paris, appuyés par leurs collègues de Guadeloupe et de Martinique, des techniciens en identification criminelle, la brigade de recherche de Saint-Martin, mais aussi les garde-côtes et le personnel de la Réserve Naturelle ont travaillé sur cette affaire.
Des enquêteurs de la B.E.A. (Bureau d’études et d’analyses), l’autorité responsable des enquêtes de sécurité pour les accidents impliquant des aéronefs civils, sont dépêchés à Saint-Martin pour commencer leur enquête.
Les enquêteurs du B.E.A. ont détaillé le déroulement du vol à partir du moment où le responsable de la compagnie T.A.I. a été contacté, vers 0h05, par l’affréteur I.W.I.A. (International West Indies Assistance) pour réaliser une évacuation sanitaire vers l’aéroport Fort-de-France/Aimé Césaire. (Photo avion page 82)
F-GXES répondez… !
Vers 0h15, le responsable de la compagnie T.A.I. contacte par téléphone le pilote pour l’informer du vol. Ils doivent se retrouver sur l’aérodrome de Saint-Martin/Grand-Case afin de préparer le vol prévu en régime I.F.R. (Instrument Flight Rules ou Règles de Vol aux Instruments). Vers 2h10, l’équipe médicale arrive, avec le patient, à l’aérodrome et embarque dans l’avion.
Le pilote a mis ses moteurs en route à 2h32, et les éléments suivants sont basés sur les témoignages et l’enregistrement des communications entre le pilote et l’agent A.F.I.S. (Aerodrome Flight Information Service) de l’aéroport de Grand-Case.
A 2h32, le pilote annonce à l’agent A.F.I.S. la mise en route pour Fort-de-France, et ce dernier lui communique la clairance I.F.R. transmise par le centre de contrôle de San Juan à Puerto Rico.
A 2h38, le pilote avise qu’il décolle, et l’agent A.F.I.S. lui communique le dernier vent et ensuite cherche, de 2h41 à 2h42, à contacter à 3 reprises le pilote.
Vers 2h43, 2 témoins présents dans un restaurant de la Baie Orientale contactent la gendarmerie de Saint-Martin pour les informer d’un accident d’avion en mer.
Le personnel médical de l’hôpital L.C. Fleming avait invoqué son droit de retrait
Le rapport de la B.E.A. indique que le commandant de bord, âgé de 43 ans, est employé chez T.A.I. depuis juin 2008, qu’il totalise 3950 heures de vols, dont 3093 en qualité de commandant de bord.
Au moment de l’accident les conditions météo estimées par Météo France étaient favorable au vol à vue, et qu’il n’y avait pas de nuages sur la zone de Saint-Martin. Selon les enquêteurs, les débris de l’avion témoignent de la violence du choc avec la surface de l’eau. Dans de telles conditions, l’accident n’offrait pas de possibilité de survie aux occupants…
Le B.E.A. s’est également attaché au contexte des vols d’évacuations sanitaires dans les îles du Nord, et indique que T.A.I. était lié par contrat avec l’hôpital de Saint-Martin de 2009 à 2013. A partir de fin 2010, le personnel médical de l’hôpital, chargé d’assurer les évacuations sanitaires, a invoqué son droit de retrait et refusé de voler avec les avions de TAI.
Le personnel médical a émis un doute quant à l’état de la flotte de T.A.I., sa fiabilité et sa conformité. A la suite de tensions entre le personnel de l’hôpital et T.A.I., la direction de l’hôpital a rompu le contrat en septembre 2011, au profit de la compagnie aérienne JetBudget basée à Sint Maarten.
En raison de la perte du contrat, l’activité de T.A.I. a quasiment été divisée par 2 entre 2010 et 2011. Fin 2011, T.A.I. employait 4 pilotes. En 2012, elle ne disposait plus que de 2 pilotes. A partir de 2012, la compagnie a pu maintenir son activité avec des missions ponctuelles pour le compte d’hôpitaux, non basés sur l’île de Saint Martin. Ces missions se faisaient majoritairement avec un préavis de 12 à 24 heures.
Un affrètement d’avion réalisé dans la précipitation
Les enquêteurs du B.E.A. ont recueilli le témoignage de l’affréteur I.W.I.A. qui indique, notamment, que le vendredi 4 mai, le vol retour, au départ de l’aéroport de Juliana, a du être annulé en raison d’une panne moteur, sur l’avion en provenance de Martinique avec le personnel soignant.
L’affréteur recherche alors une autre compagnie susceptible d’organiser le vol et contacte le responsable de la compagnie T.A.I. vers minuit. Celui-ci accepte la mission et propose un décollage vers 7h00, à l’ouverture de l’aéroport de Grand-Case. Compte tenu de l’état du patient, l’affréteur lui demande si la mission peut se réaliser au plus vite.
Le responsable lui répond que dans ces conditions, l’avion sera prêt à décoller vers 1h30. Après l’accord du responsable de T.A.I., l’affréteur fait transférer le patient et l’équipe médicale vers l’aérodrome de Grand-Case.
Le responsable de T.A.I. explique qu’il a informé le pilote, puis est parti vers l’aéroport de Grand-Case où il est arrivé sur place vers 0h30, suivi par le pilote, quelques minutes plus tard, qui a aussitôt préparé le vol. Vers 2h10, l’ambulance arrive sur le tarmac et le patient est installé à bord de l’avion.
Le dirigeant de T.A.I. précise qu’il essaie, dans la mesure du possible, de faire réaliser les vols avec un équipage constitué de 2 pilotes, tout en affirmant qu’il a tenté de contacter, sans succès, plusieurs fois le deuxième pilote. En raison d’un récent déménagement dans une zone géographique où son téléphone ne captait pas, le second pilote n’a pas reçu les appels.
Sans réponse de ce dernier, le dirigeant, qualifié lui aussi sur le PA 42, a proposé au pilote de l’accompagner pour ce vol. Le pilote a décliné sa proposition.
Au restaurant avant le vol de nuit
Le personnel de la B.E.A. s’est également attaché à l’activité du commandant de bord dans les heures qui ont précédé l’accident. Ainsi, la conjointe du pilote explique que ce dernier s’est levé vers 6h30, le vendredi matin, et la journée s’est déroulée sans événement significatif.
Elle ajoute qu’il a passé l’après-midi à son domicile, sans faire de sieste, et le couple s’est retrouvé le soir avec des amis, vers 18h00, avant de se rendre au restaurant vers 21h30. Le personnel du restaurant, et la facture du repas, indiquent que certains convives, dont le pilote, ont consommé de l’alcool.
Vers 0h05, le pilote terminait son repas lorsque le responsable de T.A.I. l’a appelé pour lui annoncer l’organisation de la mission d’évacuation sanitaire, avec un décollage le plus tôt possible. Après l’appel, le couple a quitté le restaurant afin de retourner à son domicile, qu’il a quitté vers 0h30 pour se rendre à l’aéroport.
La conjointe précise que cette situation était exceptionnelle car, depuis la perte de contrat avec l’hôpital de Saint-Martin, elle ne se souvient pas que le pilote ait pu être appelé pour la réalisation d’un vol de nuit avec un préavis si court.
Une astreinte quasi-permanente des pilotes
L’examen de l’épave, par les enquêteurs, n’a pas mis en évidence de défaillance technique susceptible d’affecter significativement les performances de l’avion. L’enquête a permis d’établir que le jour de l’accident, le pilote était éveillé depuis plus de 20 heures avant d’entreprendre le vol, et avait consommé de l’alcool. Elle n’a pas permis d’établir le taux réel d’alcoolémie, ni à partir des quantités consommées, ni à partir d’analyses toxicologiques.
Avec seulement deux pilotes, la compagnie T.A.I. ne pouvait maintenir ses objectifs opérationnels qu’en plaçant ces derniers dans une situation d’astreinte quasi-permanente. Une contrainte qui rend difficile la conciliation des vies privée et professionnelle, selon les experts.
D’après ces derniers, depuis début 2011, la diminution significative de l’activité, notamment des vols sanitaires à court préavis, a pu altérer la représentation que les pilotes pouvaient se faire de la permanence de leurs astreintes.
Dans ces conditions, et bien qu’il se trouvât en situation d’astreinte, le pilote n’a probablement pas pris en considération qu’il pouvait être appelé en pleine nuit pour entreprendre un vol à court préavis. Il a géré la fin de sa journée en conséquence, notamment en allant au restaurant.
Une pression et une décision fatidique
Par ailleurs, la diminution significative de l’activité de T.A.I., entre 2010 et 2011, associée au nombre croissant de vols sous contrat avec l’affréteur I.W.I.A. depuis le début de l’année 2012, a probablement incité le pilote à ne pas refuser ce vol.
Compte tenu de l’impossibilité de joindre le second pilote, il s’est vraisemblablement senti obligé d’accepter la mission.
Enfin, les enquêteurs estiment qu’il a certainement été soumis à la pression particulière ressentie lors d’une demande d’évacuation sanitaire, lorsqu’une vie humaine est en jeu. Le fait qu’il était le seul en mesure de réaliser la mission l’a vraisemblablement fortement poussé à entreprendre le vol. Malgré son heure précoce de lever et sa consommation récente d’alcool, le pilote n’a pas su décliner la mission…
Les débris de l’avion ont été rapatriés en France métropolitaine, dès le 7 juin 2012, afin d’y être examinés au sein du centre de la D.G.A.-E.P. (Direction Générale de l’Armement – Essais Propulseurs).
SMBN
(Dans un prochain article, témoignages de différents acteurs durant les heures qui ont précédé le crash…)